jeudi 27 août 2009

Vendredi 7 août 2009



Je me suis réveillée tôt ; 5h30 malgré les somnifères. Je nage dans du coton jusqu’à ma cafetière en faisant un rapide check up des conneries de la nuit. Pas d’appels, pas de textos, je crois. C’est déjà ça. Je me souviens vaguement de mails et de messages écrits en colimaçon à plat ventre sur mon tapis, mais je n’ose pas me relire. Il fait encore trop nuit pour avoir honte. Mon ordinateur est resté allumé ; je décolle les post-it noircis à mon intention, plein de conseils pour ne pas trop dévier quand je pars en vrille. En relevant le nez de mon litron de caféine, je vois que Heisi est connecté. C’est drôle, ça faisait longtemps et j’ai justement rêvé de lui cette nuit. Je repense un peu trop souvent à lui en ce moment. Des remords. Un gâchis. Pourtant, c’est avec lui que tout a commencé. Je me souviens…

6h30. Branle bas de combat ! Je boucle mes valises, hésite à faire ma vaisselle sous la douche pour gagner du temps, enlève, remets, rajoute, vérifie, vérifie encore. 7h03. Je suis dans la voiture, direction Charles de Gaulle.

L’aéroport aujourd’hui n’est pas très funky. Pas le temps de flâner, de profiter des formalités le nez collé au plexiglas. Je suis déjà dans l’avion pour Amsterdam. Seulement quarante cinq minutes de vol. L’atterrissage est superbe. L’avion survole des côtes très découpées, des champs, des lacs et des tentes au fur et à mesure qu’on se rapproche du sol. Même vus du ciel, les Pays Bas semblent sereins. L’appareil se pose paisiblement sur le sol. Doucement, mollement. Tout semble… simple.




L’aéroport d’Amsterdam est gigantesque. Des fontaines, des espaces, des paillettes sur le sol. J’ai l’impression d’avoir volé dans un futur qui ressemblerait à celui du vaisseau humain dans Wall-e. J’ai aussi l’intime conviction que je reviendrai bientôt ici.

Deux heures plus tard, mon vol de dix heures au-dessus de l’Atlantique commence. Je prends mes marques dans mon petit mouchoir de poche près du hublot. La longueur du trajet ne me fait pas peur. Au contraire, j’aime tellement ça que je vais avoir le temps d’en profiter. Et puis j’ai de quoi faire. Des magazines. Des MP3. Une voisine italo-américaine au look de jet setteuse adorable. Cogiter.

J’écoute de tout, un peu au hasard. Speedmarket Avenue, Kate Nash, Beck, Sufjan Steven, Au Revoir Simone. Que du doux. Impossible de dormir, je suis captive par les paysages. Je retrouve le Groenland dont l’image m’avait marquée depuis mes cinq ans. Et puis les reliefs américains, tellement gigantesques qu’on croirait frôler le sol. J’écoute, je regarde, je me raconte des histoires. Je voudrais ne jamais atterrir. Je voudrais que ce vol ne s’arrête jamais. Et vivre en communauté dans les nuages.

Les hôtesses me sortent régulièrement de mes rêveries. Pour des verres d’eau ou des questionnaires stupides à remplir. Je suis tellement à l’ouest que je me trompe et dois redemander les mêmes fiches trois fois… en faisant lever mes voisins à chaque fois. Ma nouvelle copine italo-américaine doit me trouver tellement larguée qu’elle me materne, me met une couverture sur les genoux, me propose de m’expliquer tout les mots, me donne du chocolat, replace mon coussin quand je m’endors… et me présente à sa mère.

Moment de solitude au moment du premier plateau repas. Je mets trois minutes à comprendre le mot « pasta » quand l’hôtesse me propose «chicken or pasta ?». Après avoir répété dix fois le même mot, découragée, elle m’explique que les «pasta» sont un «italian meal». Bon, cette fois, j’ai compris. N’empêche que je ne vois pas le rapport : les «pasta» pourraient très bien être au «chicken». «Chicken or pasta», ça ne me dit pas vraiment à quoi sont les «pasta» ou s’il y a des «pasta» avec le «chicken». Si?

Mais finalement, ce qui compte, ce n’est pas tant la qualité des aliments que les circonstances dans lesquelles on les mange. Et je peux dire que je n’oublierai jamais le goût de ces penne au gorgonzola (j’ai fini par prendre les « pasta ») ni celui de la panna cotta chimique. Je bois de l’eau. Je me dis que si tu avais été là, on aurait pris du vin rouge. Je me dis que ce n’est quand même pas pareil, pas les mêmes couleurs, pas les mêmes émotions, pas la même vie – anesthésie.

Et puis on atterrit et ça passe. Un atterrissage est probablement le meilleur remède contre les idées noires. Tout d’un coup, les nuages s’écartent et je vois des formes d’une régularité géométrique impressionnante se dessiner sur le sol. Comme une mouche sur une mappemonde. Il y a une route sur l’océan, une longue route blanche qui relie deux bouts de terre. Dans mes oreilles, Vincent Vincent & The Villains braille « I’m on my own » et pulvérise tous les mauvais souvenirs. J’ai comme des fourmis dans tout le corps. Ca pétille, ça frétille, ça remonte jusqu’à mon visage et je souris, je ris pour rien. Juste parce que j’atterris à douze heures de chez moi. Juste parce que je suis libre, incroyablement libre. Parce qu’il n’y a tout d’un coup plus ce poids dans mon ventre qui m’a fait perdre beaucoup trop de temps.




Je suis dans le BART – le train qui m’emmène au centre ville de San Francisco – avec ma valise de 20 kilos et 400 grammes. J’écoute American Boy, je ne tiens pas en place. Quelques pas de lap dance autour des barres en métal et voici ma station : 16th Mission. En sortant de la gare, j’ai la soudaine impression de me retrouver dans un Disneyland décadent : les rues sont larges, le ciel est bleu et les maisons couleur pastel. Mais il y a aussi des Mexicains vendant des fripes et des objets un peu dégueulasses à même le sol, des errants déguenillés et vraisemblablement shootés à autre chose qu’à la colle, des femmes avec des faux yeux de panda, des baby sitters énormes engloutissant des hamburger very big size au dessus de poussettes qui braillent, des yo men à casquette qui se check en criant « Watcha doin’ ? », des caddies remplis de tas de choses improbables, … Tout le monde a l’air un peu taré. Mais tout le monde sourit, aussi. Un Disneyland décadent, je vous dis.

Prendre le bus à San Francisco est un spectacle en soi. Laurice, ma cousine, m’explique qu’il s’agit du moyen de transport «des très pauvres, des drogués ou des handicapés». Ceci n’étant pas un commentaire méprisant mais une réalité. Ici, tout le monde a une voiture, à moins d’avoir vraiment très peu de moyens. Résultat, les bus sont toujours pleins d’une foule très… folklorique. Chaque fois que je prendrai le bus ici, je serai la seule personne sobre ou en pleine possession de mes moyens physiques et / ou mentaux. Je croiserai aussi beaucoup de personnes déguisées en animaux divers, ou nous gratifiant de magnifiques danses «tous membres à l’air». Mais il y a une espèse de solidarité dans cette communauté de la rue. Dès qu’une personne en fauteuil roulant monte dans le bus, tout le monde grimpe sur les fauteuils pour le laisser passer et s’agite pour relever les bancs et lui trouver une place confortable. J’ai vu des papis sauter sur leur fauteuil et virer à coups de cannes des touristes qui ne se levaient pas pour aider.




Mon oncle habite dans le quartier de Pacific Heigts, un quartier très fancy plein de maisons au style victorien ahurissantes. C’est calme, c’est magnifique. Je redécouvre avec joie cette immense maison qui m’avait tant marquée, plus de quinze ans auparavant. Je réalise aussi que tous mes souvenirs étaient biaisés. Tout est tellement différent… Levon aussi a changé. Je le reconnais à peine. Son français n’est plus aussi bon et il parle l’américain en roulant les « r », à l’arménienne. Je mets du temps à revoir en lui mon « tonton ». C’est son sourire soyeux d’oriental que je reconnais. Je prends conscience du temps qui est passé. Ce n’est plus la même vie, plus la même ville. C’est une redécouverte.

Le soir, Vanick et Laurice m’emmènent dans un restaurant végétalien, le Gratitude. La plupart des aliments sont crus et rien ne provient de la production animale. Tout ici est pensé développement durable. Quant au personnel, il est tenu de suivre un programme zen pour se libérer du poids du passé. L’ambiance est cosy ; les plats succulents. Tout ça me fait penser à un café dans le quartier hippie de Cristiana à Copenhague, où Zabou et moi avions mangé le meilleur gâteau au chocolat du monde – encore une question de circonstances, sans doute.

Je comprends vite qu’à San Francisco, l’écologie prend une place de plus en plus importante dans la vie des habitants. Les restaus bio ou végétariens sont nombreux et pas plus chers que les autres ; il y a même des restaus japonais végétariens. Il y a des parkings recouverts de panneaux solaires, des bus électriques, les journaux sont imprimés sur du papier recyclés, chaque maison est équipée d’un bac à compost que la ville récupère,… Ils sont surpris lorsque je leur dis que nous sommes très loin de tout ça, à Paris, et que je n'ai jamais été dans un tel endroit.

Plus tard, Vanick m’emmène chez des amis qui jouent du Beyonce à la guitare, en fumant du haschich dans une pipe en céramique et boivent des bières aromatisées à la fleur. Nous leur avons amené du « peanut milk », dégoté dans une espèce de fast food asiatique juste avant d’arriver. Le « peanut milk » c’est LE bon plan. Il est censé booster la libido, soigner les cancers et même aider à tomber dans enceinte. Pour un peu, je suis sûre que ça peut restaurer la paix dans le monde. C’est une «drink that wonders». Qui «wonders» quoi je ne sais pas trop, mais en tout cas, ça «wonders» et ça n’a pas beaucoup de succès. Malgré tout, ma libido n’est pas du tout boostée et je préfère rentrer que de les suivre danser au Baobab.

Je suis debout depuis plus de vingt quatre heures et je viens de vivre deux vendredis en un. Il est temps pour moi de regagner mon canapé improvisé en lit. Je m’écroule en me racontant mes histoires préférées. Comme quand j’avais cinq ans.

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