lundi 31 août 2009

Mardi 11 août 2009 : Living the american way of life

Ce matin, le brouillard est déjà là. Ca n’augure rien de bon pour le reste de la journée. Pourtant, aujourd’hui est un grand jour : je vais assister ce soir à mon premier match de baseball, les Giants de San Francisco contre les Dodgers de Los Angeles.

En attendant, je me mets en route pour Downtown, le centre d’affaire - et le centre commercial - de la ville. Sur le chemin, je m’arrête au restaurant de mon oncle. Je tombe sur Vanick qui était venu me chercher à la maison mais ne m’y avait pas trouvée. Ca tombe bien. Je repense en souriant à la magie.

* The Mission*


Vanick veut s’acheter une maison à San Francisco. Ici, il n’y a pas d’immeubles; que des maisons qu’on se partage entre colocataires. Du coup, les pavillons sont gigantesques. Ils peuvent parfois héberger plusieurs familles. Vanick me propose un tour en voiture pour en voir quelques unes. L’occasion de discuter avec lui sur les montagnes russes des rues de San Francisco que je n’aurais jamais pu faire à pied. Je suis parfois au bord du vertige, quand la voiture est presque perpendiculaire à la rue.

Nous nous éloignons un peu du centre. Les quartiers que nous visitons sont très calmes. Nous nous arrêtons sur une colline pour observer la ville qui s’étend à 360° autour de nous. Le ciel est gris, il fait un peu froid. Un véritable été san franciscain parait-il.





Entre deux stops devant des maisons aux façades toujours colorées, nous comparons nos modes de vie de part et d’autre de l’Atlantique. Vanick me fait penser à mon grand frère, parfois, dans sa manière de philosopher sur la vie avec son français devenu un peu hésitant. Il pense que les gens sont plus heureux ici. Je ne suis pas loin de partager son point de vue, mais l’avis d’une touriste fraichement arrivée est rarement objectif. Cela dit, au bout de quelques jours passés ici, je peux déjà sentir à quel point l’atmosphère est moins étouffante ici qu’à Paris. A quel point les gens ont l’air plus détendu. Plus cool.

Pourtant, à cet instant, je ne me vois pas vivre ici. C’est la première fois que je ressens cela lors d’un voyage : je ne me sens pas américaine pour deux sous. Il n’y a pas ici cette authenticité un peu bourrue que j’aime en France. Difficile de préciser plus ce sentiment pour l’instant.

Au cours de notre petite balade, une chose me frappe. Chaque fois que Vanick s’adresse à des gens – qu’il ne connait pas – pour demander des renseignements sur le quartier, il commence invariablement par dire : « Hi, how are you doing ? ». Ca peut paraitre anecdotique… mais à la réflexion, je réalise qu’il ne me viendrait jamais à l’idée de dire cette phrase, pourtant très bateau, à de parfaits inconnus. Il me semble que nous avons plutôt l’habitude d’utiliser ce petit tic de langage uniquement avec des personnes avec qui nous avons une petite connexion, même quelconque. Je comprends évidemment que c’est un automatisme, un truc que tout le monde fait ici sans se soucier de la réponse. Comme en France. Je réalise aussi que des commerçants m’ont accueillie de cette façon ici, et que j’avais été perturbée par cette entrée en matière.

Et soudain, tout s’éclaire ! Et notamment la raison pour laquelle le mec de l’aéroport qui vérifiait mon passeport et prenait mes empreintes digitales m’a regardée de travers lorsque je lui ai raconté tout mon vol après qu’il m’ait demandé « How are you doing ? ». Je le trouvais sympa ; j’étais excitée comme une puce. J’ai vraiment cru que ça l’intéressait, de savoir comme je « doingais ». Je suis presque déçue. Triste désillusion…

Le midi, Vanick m’emmène manger chez Yamo, un minuscule restaurant chinois où la cuisine se fait sous nos yeux, au comptoir où nous sommes installés pour manger. On dirait une petite cantine, d’aspect un peu glauque mais très… familial. Les plats sont délicieux. Je n’oublierai jamais, je crois, la noix de coco fraiche ouverte devant nous à coups de machette. La meilleure de ma vie. La chair est si tendre qu’on la mange à la cuillère. Je suis – littéralement – au bord de l’extase.






Vanick me redépose au restaurant et je reprends ma route vers Downtown. Je grimpe de véritables montagnes citadines à côté des « cable cars » pour atteindre des cimes qui ne ressemblent en rien à ce que j’ai vu de San Francisco jusque là. Downtown est comme un gros champignon posé au milieu d’un champ de maison. La sensation de se retrouver soudain dans une autre ville est plutôt déroutante. Plus je grimpe, plus les bâtiments sont hauts. J’ai quitté des rues aérées pleines de maisons de toutes les couleurs pour me retrouver coincée entre des gratte-ciels gigantesques et des magasins de luxe. Il y a beaucoup trop d’agitation, trop de fourmillement, de touristes, de bus, de buildings – trop de trop. Vertigineux. Je rencontrerai plus tard une touriste française qui a passé deux jours à San Francisco et n’y a vu que ce quartier. Elle repartira avec l’impression que la ville ressemble beaucoup à New York… alors que ça n’a clairement rien à voir. Downtown est une excroissance qui semble s’être construite toute seule. Une sorte de ville autonome, indépendante du « vrai » San Francisco.







* Love in Union Square *



Tout cela est – disons – sociologiquement intéressant mais j’étouffe. Après quelques essais shopping totalement infructueux, je reprends mon bus pour les Pacific Heights. C’est l’heure du baseball.






Le match me réserve bien des surprises. J’arrive avec mon attirail de supportrice, pourvue d’une main en mousse fraichement acquise (merci tonton !) et gonflée à bloc pour soutenir mon équipe. Finalement, je serai sans doute la personne la plus à fond dans le stade. Ici, le match de baseball, c’est un peu la sortie familiale du dimanche – du mardi soir en l’occurrence, mais c’est pareil. On pique nique dans les gradins sans vraiment faire attention à ce qui se passe sur le terrain. Je n’ai même pas remarqué quand le match a commencé, pensant que les joueurs étaient en train de s’échauffer tant le public leur témoignait peu d’intérêt. Il y a bien sûr quelques slogans, du bruit, mais aucune tension, aucun challenge. Les « supporters » ont plutôt tendance à s’entasser dans les boutiques, les attractions, et les stands de nourriture plutôt que de suivre fiévreusement le score.



Même les joueurs ne semblent pas au comble de leur dynamisme. Le baseball est globalement un sport mou. Je verrai même deux joueurs qui ne font rien depuis un moment finir par se lancer la balle entre eux, pour s’occuper.

En tant qu’habituée aux ambiances de stade un peu plus survoltées, je hurle, j’insulte, je secoue ma main en mousse et crie au scandale en voyant tous ces mollusques collés à leur banc. Une personne derrière moi me demande même de m’asseoir alors que je traite un joueur de l’équipe adverse de transsexuel. Mes cousins – eux – se marrent et reprennent du vin.

La fin du match approche et les Giants se font laminer. Et là, le comble : le stade se vide, les « supporters » s’en vont puisque nous avons, de toute façon, perdu. Je parviens à faire rester Vanick et Laurice jusqu’à l’avant dernière manche, pas plus. Levon et Herena, eux, sont partis depuis longtemps. C’est un déchirement d’abandonner mon équipe dans une telle mauvaise passe. Je suis sonnée.

Finalement, tout ça résume bien ce que je ressens depuis mon arrivée ici et que je ne parvenais pas à expliquer : beaucoup de spectacle, très peu d’authenticité. Le règne de « show off ».

dimanche 30 août 2009

Lundi 10 août 2009 : Happiness is only real when shared.

8h du matin. Je cours dans l’Alta Plaza Park sur les hauteurs de Pacific Heights avec Kanye West comme coah. Impossible de dormir plus longtemps, le décalage horaire me rend matinale. J’ai l’occasion d’avoir un panorama superbe sur (presque) toute la ville et son brouillard.

Le midi, nous retournons au Golden Gate Park avec Laurice, direction le Japanese Tea Garden. Impression de familiarité. Le jardin est tout petit mais incroyablement zen. Harmonie maximale parmi les bonzaïs, les cascades, et les ruisseaux à traverser en sautant de pierre en pierre ; régal des échanges de fi-filles autour du thé vert et des « fortune cookies ». La journée est douce, calme. Je commence à m’habituer doucement à la vitesse de croisière.






Laurice doit partir travailler. Je reste un moment dans le jardin botanique à errer à l’instinct, passant d’une région du monde à une autre et expérimentant différentes piqûres de moustique, peut-être différents eux aussi selon les parcelles…. Je m’arrête longtemps dans les « rain forests » luxuriantes. J’ai l’impression d’y être cachée, camouflée dans une petite niche fraiche. La nostalgie est à deux doigts de repointer son nez.





Savoir être seul, c’est bien, sans doute très bien même. Mais la conclusion du film Into the wild me hante depuis un moment. Encore plus en remontant la longue route qui doit m’emmener à l’observatoire du parc: «Happiness is only real when shared». Encore absorbée par cette réflexion, je tombe sur un groupe de musiciens installés sur des marches à l’entrée d’un tunnel. Groupe pour le moins hétérogène : il y a quelques vieux hippies barbus qui jouent des percussions, un saxophoniste en smoking et une fille en sandale qui ne maitrise apparemment pas bien ses maracas à côté d’un jeune popeux à slim et cheveux longs. Je les regarde un moment puis les rejoins. Ils me prêtent un ukulélé, un xylophone et leur pipe à haschich. Des gens s’arrêtent, nous regardent, applaudissent. Une femme déguisée en grenouille danse pour nous. Je ne sais jouer aucun des deux instruments. Pas grave, je crois que tout le monde s’en fiche. Je joue au feeling. C’est probablement inaudible, mais c’est incroyablement libérateur.

* Groupe d'un jour *


* La femme grenouille *

Une heure et demie plus tard, le concert s’achève. Je fais un bout de chemin avec Steven, le jeune popeux, qui m’explique qu’aucune – ou presque- des personnes présentes ne se connaissaient. Il savait que des gens venaient souvent ici pour jouer ; il est venu avec sa guitare. C’est tout. Je me demande si une chose pareille pourrait arriver ailleurs qu’ici. Est-ce parce que je suis une touriste que je tombe sur ce genre d’évènements ? Parce que je suis en vacances ? Ou parce que je suis à San Francisco ? C’était – en tout cas – un moment magique ; un partage gratuit entre des personnes qui se sont à peine adressées un mot. Qui sont simplement arrivées là, pour jouer, et sont reparties en ce remerciant mutuellement pour ce « great gig ». Je suis heureuse d’avoir fait partie d’un truc comme ça.

* Steven *

Je poursuis ma route avec Steven. Il travaillait jusque récemment dans une ferme bio. Mais son truc à lui, c’est la musique. Il enregistre seul dans son studio maison des airs planants et un peu mélancoliques (http://www.myspace.com/weplanonsleeping). Il a aussi créé un film de trois minutes en « still pictures » ; ça lui a pris trois mois. Je regarde le film, le soir. Je le trouve très beau.

Nous marchons longtemps. Après nous être perdus plusieurs fois et avoir débattu sur la question du talent artistique – un don ou un travail ?- nous nous séparons devant un stand de churros.

Deux minutes plus tard, je lui cours après dans la rue pour récupérer son adresse mail. Une impulsion. L’envie de ne pas regretter plus que de le revoir. Parce que la solitude, c’est bien, mais malgré tout : « Happines is only real when shared ».

samedi 29 août 2009

Dimanche 9 août 2009 : The Boulevard of broken dreams

Drame matinal : à cause de la différence de voltage, ici, mon épilateur électrique marche difficilement. Il émet un râlement d’épilateur à l’agonie. Ca me fend le cœur, et c’est la panique. Comment vais-je tenir vingt jours? J’ai l’impression de devoir passer une épreuve de survie en territoire hostile. C’est normal que les Françaises aient la réputation de ne pas s’épiler ici si on ne nous en donne pas les moyens, aussi.

Après m’être remise de cet évènement fort contraignant, je démarre ma première journée en solitaire. Aujourd’hui, Vanick et Laurice travaillent tout les deux. Et il me semble confusément qu’il faut que je réapprenne à être seule après ces derniers mois un peu fous- physiquement seule en tout cas pour l’être moins quand je suis censée être entourée. Ce voyage aux Etats Unis est plus important pour moi qu’il n’en a l’air. Comme un déracinement volontaire le plus loin possible pour prendre un peu de recul et arrêter cette course en continu un peu ridicule. J’ai une étape à franchir.








Fillmore Street et ses cafés très bobos ; le Japan Center et son festival qui sent le graillon, ses danses hawaïennes, et ses concerts de J-rock ; la cathédrale Ste Mary of the Assumption et sa forme de machine à laver. Je débarque au milieu de la messe dans ce gigantesque monument blanc dont l’architecture très peu conventionnelle a été beaucoup critiquée. Je ne suis pas allée à l’église depuis plus de dix ans, sauf pour des mariages, des enterrements ou des baptêmes. Il m’est arrivé ces dernières années d’avoir très envie d’y retourner ; j’ai même voulu me confesser au Vatican mais mes copines m’en ont empêché. A la place, je suis allée voir un psy.

Assise sur un banc en attendant que la cérémonie finisse, je me sens très petite, un peu intruse, et je ne trouve absolument pas le calme, la sérénité, la paix intérieure que tout ça est censé m’inspirer. Mais je perçois la nécessité de réussir à me ménager, pour moi, des temps suspendus. Je ne sais plus exactement quand ces moments-là sont devenus insupportables.




Je ressors de la cathédrale des bonnes résolutions plein la tête, sur l’aménagement de mon emploi du temps et la manière de me traiter. Et comme à chaque fois que je prends ce genre de décision, j’ai passablement envie de vomir et de faire tout l’inverse, encore plus de bêtises. Bon. Le pèlerinage vient de commencer mais il va être long…


Lower Haight, le prolongement du fameux quartier hippie de Haight Ashbury, qui n’a pas encore été contaminé par l’attraction touristique. Cette partie-là est finalement beaucoup plus saine, plus « authentique ». Il n’y a pas de vieux junkies à tout les coins de rue, pas d’exploitation ultra mercantile d’un passé qui rêvait du contraire. Tout est beaucoup plus calme, ici. Quelques tours dans les fripes du coin, et déjeuner au Café International. Les fallafels sont bons et le café glacé réserve une surprise…





Stern Grove, et son festival de world music dans les hauts pins, avec une chanteuse colombienne qui doit être proche des soixante-dix ans, mais pleine d’un dynamisme et d’une chaleur magnifiques. Des gens s’entassent par centaine sur les collines très pentues du parc, qui forment une espèce d’amphithéâtre naturel. Je danse les yeux fermés dans la foule compacte pour ne pas me sentir mal. Je ressens les couleurs ; c’est une sensation étrange, mais là, entre trois pas de salsa, je sens vraiment du rouge et du jaune traverser mes paupières.

Ma solitude commence à me peser. Ca ne fait pourtant que quelques heures. En sortant du parc, un jeune homme me propose de me ramener dans le centre ville en voiture. Je décline l’invitation et passerai le reste de la journée à m’en vouloir. Je reviens sur mes pas dix minutes plus tard pour voir s’il est encore là. Si j’avais dit oui, tout serait peut-être différent. Et si c’était ça le bouleversement que j’attendais? Le petit « truc » qui allait inverser la vapeur?

Je grimpe la côte jusqu’au tram et j’ai envie de pleurer, de hurler, et je sens bien que cette réaction n’est absolument pas normale. Que c’est exactement de ça dont il faut que je me débarrasse. Déposer les armes et avancer sereinement au lieu de vivre les choses comme un combat perpétuel. A nouveau, je me demande comment on fait, comment ça marche, comment on est censé faire.

J’écoute Melpo Mene dans le bus qui me ramène à Pacific Heights ; je me souviens de ce jeune homme seul en scène. La crise est passée, ça va mieux. Maintenant, ça va aller mieux. Maintenant, ça va aller.

Décidément, c’est une journée à thème.

vendredi 28 août 2009

Samedi 8 août 2009 : Chillin'

Laurice pensait que je me réveillerai très tôt à cause du décalage horaire. C’est finalement elle qui me tire d’un rêve étrange à base de strip teaseuses et de grenouilles rouges au goût de poulet acide lorsqu’elle se lève comme une boule de flipper pleine d’énergie à neuf heures du matin.



Une heure plus tard, nous sommes dans les rues de San Francisco, un grand café au lait de soja de chez Peet’s à la main. Peet’s, c’est exactement comme Starbucks, mais en meilleur. Et comme des Starbucks, il y en a à tous les coins de rue. Lorsqu’elle est revenue à San Francisco, Laurice ne supportait pas de voir les gens « biberonner » dans la rue. C’est aujourd’hui devenu une habitude. Tout le monde « biberonne » ici. S’installer pour boire son café - mais aussi, tout simplement, pour manger - n’est pas du tout une coutume américaine. On ne s’arrête pas ; on ne se pose pas. On continue.



Il fait un temps magnifique ; fait parait-il exceptionnel pour un été à San Francisco. Pas de brouillard mais un grand soleil qui tape sur la cafetière. Aujourd’hui, Vanick ne travaille pas - chose rare. Nous décidons donc de passer la journée avec lui. Un pique-nique est improvisé au Golden Gate Park, le parc le plus grand de la ville. Il est départagé en plusieurs parties différentes, telles que le Japanese Tea Garden, le Botanical Garden, le Dutch Mill, le Shakespeare Garden, … Nous nous retrouvons sur une grande pelouse entre les deux musées du parc, le Muséum d’Histoire Naturelle, et le De Young Museum. Des amis de Vanick nous rejoignent petit à petit. Au menu sous le soleil : fruits, fromage, vin rouge, bière et football américain. Sans le changement de langue, je pourrais presque me croire encore en France. Mais je me sens bien ; je ne ressens pas encore l’urgence de tout voir, tout découvrir immédiatement, qui me ronge d’habitude dès que je suis à l’étranger. J’ai vingt jours devant moi. J’ai le temps. De profiter de ces nouvelles rencontres, de mon cousin, de ma cousine et des coups de soleil.



Des jets d’eau automatique se mettent en marche à quelques mètres de nous, inondant un groupe de Japonais. Une des amies de Vanick émet l’idée que nous allions les aider. Nous trouvons ça beaucoup plus amusant de les regarder en rigolant sauver leurs sandwichs et leurs appareils photos. Dix minutes plus tard, un des arrosages se met en marche juste à côté de nous. Cette fois, ce sont les Japonais qui se marrent.



Cette inondation surprise sonne le départ pour les derniers résistants. L’après-midi touche déjà à sa fin. Je rentre avec Laurice chez Levon. Nous sommes épuisées, trempées et rouges de coups de soleil. Je me sens presque fiévreuse. Le vin doit y être pour beaucoup.

A peine rentrées, Levon ouvre une autre bouteille pour l’apéritif. Mon oncle est un très grand amateur de vin et sa cave renferme des grands crus qu’il fait allègrement partager. Chaque soir, lorsqu’il rentre, c’est une coutume pour lui de déguster une de ces bouteilles avec sa nouvelle amie, Herena, une adorable Coréenne qu’il a rencontrée dans son cabinet de kiné, et ses enfants lorsqu’ils sont là. J’aime ces rassemblements qui annoncent la fin de la journée. On s’assoit autour de la table avec un vin chaque fois plus délicieux, Brenda, le chat, miaule et on se raconte la journée, la future soirée… et toutes les conversations finissent toujours par la gestion du restaurant que tient mon oncle depuis trente ans, La Méditerranée.



Ce soir, dîner de famille. Levon a cuisiné des plats succulents dans des quantités astronomiques. Ca sent bon les retrouvailles. Raconter ce que je deviens, ce que deviennent mes parents, mes frères. La vie en France, les souvenirs qu’il me restait d’ici. Et redécouvrir surtout des membres de la famille trop éloignée.

Impossible de ressortir après ça - toute cette nourriture, tout ce vin, toutes ces brûlures. Nous nous écroulons comme des souches.

jeudi 27 août 2009

Vendredi 7 août 2009



Je me suis réveillée tôt ; 5h30 malgré les somnifères. Je nage dans du coton jusqu’à ma cafetière en faisant un rapide check up des conneries de la nuit. Pas d’appels, pas de textos, je crois. C’est déjà ça. Je me souviens vaguement de mails et de messages écrits en colimaçon à plat ventre sur mon tapis, mais je n’ose pas me relire. Il fait encore trop nuit pour avoir honte. Mon ordinateur est resté allumé ; je décolle les post-it noircis à mon intention, plein de conseils pour ne pas trop dévier quand je pars en vrille. En relevant le nez de mon litron de caféine, je vois que Heisi est connecté. C’est drôle, ça faisait longtemps et j’ai justement rêvé de lui cette nuit. Je repense un peu trop souvent à lui en ce moment. Des remords. Un gâchis. Pourtant, c’est avec lui que tout a commencé. Je me souviens…

6h30. Branle bas de combat ! Je boucle mes valises, hésite à faire ma vaisselle sous la douche pour gagner du temps, enlève, remets, rajoute, vérifie, vérifie encore. 7h03. Je suis dans la voiture, direction Charles de Gaulle.

L’aéroport aujourd’hui n’est pas très funky. Pas le temps de flâner, de profiter des formalités le nez collé au plexiglas. Je suis déjà dans l’avion pour Amsterdam. Seulement quarante cinq minutes de vol. L’atterrissage est superbe. L’avion survole des côtes très découpées, des champs, des lacs et des tentes au fur et à mesure qu’on se rapproche du sol. Même vus du ciel, les Pays Bas semblent sereins. L’appareil se pose paisiblement sur le sol. Doucement, mollement. Tout semble… simple.




L’aéroport d’Amsterdam est gigantesque. Des fontaines, des espaces, des paillettes sur le sol. J’ai l’impression d’avoir volé dans un futur qui ressemblerait à celui du vaisseau humain dans Wall-e. J’ai aussi l’intime conviction que je reviendrai bientôt ici.

Deux heures plus tard, mon vol de dix heures au-dessus de l’Atlantique commence. Je prends mes marques dans mon petit mouchoir de poche près du hublot. La longueur du trajet ne me fait pas peur. Au contraire, j’aime tellement ça que je vais avoir le temps d’en profiter. Et puis j’ai de quoi faire. Des magazines. Des MP3. Une voisine italo-américaine au look de jet setteuse adorable. Cogiter.

J’écoute de tout, un peu au hasard. Speedmarket Avenue, Kate Nash, Beck, Sufjan Steven, Au Revoir Simone. Que du doux. Impossible de dormir, je suis captive par les paysages. Je retrouve le Groenland dont l’image m’avait marquée depuis mes cinq ans. Et puis les reliefs américains, tellement gigantesques qu’on croirait frôler le sol. J’écoute, je regarde, je me raconte des histoires. Je voudrais ne jamais atterrir. Je voudrais que ce vol ne s’arrête jamais. Et vivre en communauté dans les nuages.

Les hôtesses me sortent régulièrement de mes rêveries. Pour des verres d’eau ou des questionnaires stupides à remplir. Je suis tellement à l’ouest que je me trompe et dois redemander les mêmes fiches trois fois… en faisant lever mes voisins à chaque fois. Ma nouvelle copine italo-américaine doit me trouver tellement larguée qu’elle me materne, me met une couverture sur les genoux, me propose de m’expliquer tout les mots, me donne du chocolat, replace mon coussin quand je m’endors… et me présente à sa mère.

Moment de solitude au moment du premier plateau repas. Je mets trois minutes à comprendre le mot « pasta » quand l’hôtesse me propose «chicken or pasta ?». Après avoir répété dix fois le même mot, découragée, elle m’explique que les «pasta» sont un «italian meal». Bon, cette fois, j’ai compris. N’empêche que je ne vois pas le rapport : les «pasta» pourraient très bien être au «chicken». «Chicken or pasta», ça ne me dit pas vraiment à quoi sont les «pasta» ou s’il y a des «pasta» avec le «chicken». Si?

Mais finalement, ce qui compte, ce n’est pas tant la qualité des aliments que les circonstances dans lesquelles on les mange. Et je peux dire que je n’oublierai jamais le goût de ces penne au gorgonzola (j’ai fini par prendre les « pasta ») ni celui de la panna cotta chimique. Je bois de l’eau. Je me dis que si tu avais été là, on aurait pris du vin rouge. Je me dis que ce n’est quand même pas pareil, pas les mêmes couleurs, pas les mêmes émotions, pas la même vie – anesthésie.

Et puis on atterrit et ça passe. Un atterrissage est probablement le meilleur remède contre les idées noires. Tout d’un coup, les nuages s’écartent et je vois des formes d’une régularité géométrique impressionnante se dessiner sur le sol. Comme une mouche sur une mappemonde. Il y a une route sur l’océan, une longue route blanche qui relie deux bouts de terre. Dans mes oreilles, Vincent Vincent & The Villains braille « I’m on my own » et pulvérise tous les mauvais souvenirs. J’ai comme des fourmis dans tout le corps. Ca pétille, ça frétille, ça remonte jusqu’à mon visage et je souris, je ris pour rien. Juste parce que j’atterris à douze heures de chez moi. Juste parce que je suis libre, incroyablement libre. Parce qu’il n’y a tout d’un coup plus ce poids dans mon ventre qui m’a fait perdre beaucoup trop de temps.




Je suis dans le BART – le train qui m’emmène au centre ville de San Francisco – avec ma valise de 20 kilos et 400 grammes. J’écoute American Boy, je ne tiens pas en place. Quelques pas de lap dance autour des barres en métal et voici ma station : 16th Mission. En sortant de la gare, j’ai la soudaine impression de me retrouver dans un Disneyland décadent : les rues sont larges, le ciel est bleu et les maisons couleur pastel. Mais il y a aussi des Mexicains vendant des fripes et des objets un peu dégueulasses à même le sol, des errants déguenillés et vraisemblablement shootés à autre chose qu’à la colle, des femmes avec des faux yeux de panda, des baby sitters énormes engloutissant des hamburger very big size au dessus de poussettes qui braillent, des yo men à casquette qui se check en criant « Watcha doin’ ? », des caddies remplis de tas de choses improbables, … Tout le monde a l’air un peu taré. Mais tout le monde sourit, aussi. Un Disneyland décadent, je vous dis.

Prendre le bus à San Francisco est un spectacle en soi. Laurice, ma cousine, m’explique qu’il s’agit du moyen de transport «des très pauvres, des drogués ou des handicapés». Ceci n’étant pas un commentaire méprisant mais une réalité. Ici, tout le monde a une voiture, à moins d’avoir vraiment très peu de moyens. Résultat, les bus sont toujours pleins d’une foule très… folklorique. Chaque fois que je prendrai le bus ici, je serai la seule personne sobre ou en pleine possession de mes moyens physiques et / ou mentaux. Je croiserai aussi beaucoup de personnes déguisées en animaux divers, ou nous gratifiant de magnifiques danses «tous membres à l’air». Mais il y a une espèse de solidarité dans cette communauté de la rue. Dès qu’une personne en fauteuil roulant monte dans le bus, tout le monde grimpe sur les fauteuils pour le laisser passer et s’agite pour relever les bancs et lui trouver une place confortable. J’ai vu des papis sauter sur leur fauteuil et virer à coups de cannes des touristes qui ne se levaient pas pour aider.




Mon oncle habite dans le quartier de Pacific Heigts, un quartier très fancy plein de maisons au style victorien ahurissantes. C’est calme, c’est magnifique. Je redécouvre avec joie cette immense maison qui m’avait tant marquée, plus de quinze ans auparavant. Je réalise aussi que tous mes souvenirs étaient biaisés. Tout est tellement différent… Levon aussi a changé. Je le reconnais à peine. Son français n’est plus aussi bon et il parle l’américain en roulant les « r », à l’arménienne. Je mets du temps à revoir en lui mon « tonton ». C’est son sourire soyeux d’oriental que je reconnais. Je prends conscience du temps qui est passé. Ce n’est plus la même vie, plus la même ville. C’est une redécouverte.

Le soir, Vanick et Laurice m’emmènent dans un restaurant végétalien, le Gratitude. La plupart des aliments sont crus et rien ne provient de la production animale. Tout ici est pensé développement durable. Quant au personnel, il est tenu de suivre un programme zen pour se libérer du poids du passé. L’ambiance est cosy ; les plats succulents. Tout ça me fait penser à un café dans le quartier hippie de Cristiana à Copenhague, où Zabou et moi avions mangé le meilleur gâteau au chocolat du monde – encore une question de circonstances, sans doute.

Je comprends vite qu’à San Francisco, l’écologie prend une place de plus en plus importante dans la vie des habitants. Les restaus bio ou végétariens sont nombreux et pas plus chers que les autres ; il y a même des restaus japonais végétariens. Il y a des parkings recouverts de panneaux solaires, des bus électriques, les journaux sont imprimés sur du papier recyclés, chaque maison est équipée d’un bac à compost que la ville récupère,… Ils sont surpris lorsque je leur dis que nous sommes très loin de tout ça, à Paris, et que je n'ai jamais été dans un tel endroit.

Plus tard, Vanick m’emmène chez des amis qui jouent du Beyonce à la guitare, en fumant du haschich dans une pipe en céramique et boivent des bières aromatisées à la fleur. Nous leur avons amené du « peanut milk », dégoté dans une espèce de fast food asiatique juste avant d’arriver. Le « peanut milk » c’est LE bon plan. Il est censé booster la libido, soigner les cancers et même aider à tomber dans enceinte. Pour un peu, je suis sûre que ça peut restaurer la paix dans le monde. C’est une «drink that wonders». Qui «wonders» quoi je ne sais pas trop, mais en tout cas, ça «wonders» et ça n’a pas beaucoup de succès. Malgré tout, ma libido n’est pas du tout boostée et je préfère rentrer que de les suivre danser au Baobab.

Je suis debout depuis plus de vingt quatre heures et je viens de vivre deux vendredis en un. Il est temps pour moi de regagner mon canapé improvisé en lit. Je m’écroule en me racontant mes histoires préférées. Comme quand j’avais cinq ans.