samedi 5 septembre 2009

Vendredi 14 août 2009

Le vide a refait surface. Je m'y engouffre.

Sur Haight Street, je passe deux heures et demie chez Amoeba et en ressors avec une vingtaine de CD. Pas calmée, je claque ma thune en fringues et organic latte dans presque chaque magasin de la rue. Je dépense des sommes indécentes. Dès que je sors ma carte bleue, j'ai cette même sensation que quand j'approche ma main du four. Ca brûle, mais ça fait du bien. Mordre. Plaisir coupable.

Je rejoins Vanick chez lui, dans la soirée. Nous devons aller au restau. Ses "roomates" font un barbecue dans le jardin et vendent des tableaux sur le trottoir. Quelques verres de vin plus tard, le restau est oublié et mon nouveau crew américain m'offre une tournée de shots dans le bar d'à côté.

Il y a Ryan, un basketteur géant autant passionné par le hip-hop que par les grills, et dont je comprends difficilement l'accent un peu trainant. John, à moitié caché par sa casquette et qui rit tout le temps avec une grosse voix rauque. Et Scott, le plus bizarre de tous, qui vit sur North Beach et doit appartenir à un milieu beaucoup plus bourgeois que tout les autres.

Au détour d'une phrase tout ce qu'il y a de plus banale, Scott s'arrête et me demande : "You wanna fuck?"

Le tourisme sexuel présentant peu d'intérêts, je veux rejoindre mon canapé dans les Pacific Heights. Vanick est déjà parti se coucher ; je m'énerve contre les pavés du mur. Je suis un peu perdue au milieu de la cour, mon portable dans la main, prête à t'envoyer un message pour un peu de réconfort, pour savoir, si, peut-être, il serait possible...

Ryan propose de m'accompagner jusqu'à un arrêt de bus qui me ramènera chez moi. J'ai moins froid. En attendant mon chauffeur, je lui fais écouter Rordiguez. Il est déçu ; "this is folk music", qu'il dit. Il me promet de me faire une liste de groupes à écouter avant mon départ.

A bientôt, donc.

jeudi 3 septembre 2009

Jeudi 13 août 2009 : Virée artistique

Je déjeune pour la première fois dans le restaurant de mon oncle, avec Laurice. Vanick nous rejoint de temps en temps, entre deux clients. J'adore cet endroit ; j'y retrouve toute l'ambiance familiale qui me manque depuis que les "soirées arméniennes" se sont raréfiées. Il y a les épices que ma grand-mère met dans ses plats, les chansons qu'on a toujours entendues, Charles Aznavour en tête, le café turc et son marc qui prédit l'avenir, les décorations qui s'entassent sur les murs, les tapis orientaux, les saveurs d'enfance et les mots d'arménien qui surgissent au détour d'une phrase. Je me sens bien ; j'ai envie de me poser un peu après avoir enchainé les visites pendant quelques jours.


* Lire dans le marc de café *

Je descends Fillmore Street maquillée comme une pouffiasse par les vendeuses de Benefit chez qui j'ai eu le malheur de mettre les pieds. Je passe de friperie en friperie, essaye, achète, repose. Ici, j'ai l'immense bonheur de ne pas faire du shopping au son de Florent Pagny ou Christophe Maé mais en écoutant Rodriguez et les Pretty Girls Make Grave. Je souris à chaque nouvelle chanson. Cette ville est quand même chouette.

J'arrive au Museum Of Modern Arts les bras chargés de paquets estampillés "fifille". J'hésite longuement ; il ne me reste plus beaucoup de temps. Tant pis, la tentation de voir des Matisse, Magritte ou Rothko est trop forte. Je cours dans les couloirs et me laisse totalement absorber par mes oeuvres favorites. Je suis chaque fois émerveillée par ces tableaux. En particulier La Femme au chapeau de Matisse et l'anecdote qui va avec. Ce tableau faisait partie de l'exposition qui a annoncé le début du mouvement "fauve", selon l'expression d'un critique d'art pour qualifier la peinture excessivement colorée de ces artistes. Le tableau de Matisse présente une femme peinte de toutes sortes de couleurs. Lorsqu'on lui a demandé "De quelle couleur est la robe de cette femme?", Matisse a répondu : "Noir, évidemment."

Cette anecdote a toujours résumé ce qui m'intéresse le plus dans la peinture - et peut-être l'art en général. Ce n'est pas ce qui est représenté qui est important, mais là où la représentation nous emmène - son ailleurs. Ce n'est pas ce que l'oeil voit qui compte, mais ce que le corps ressent. En regardant le visage de cette femme, je ne le vois pas vert. Mais ce vert me raconte énormément de choses.

Bref.

Je termine ma visite un peu en catastrophe au Peet's du coin de la rue. "Today is eighties day". Un homme d'une trentaine d'années commence à me parler. Il ne compte vraisemblablement rien commander. Il est simplement venu voir à quoi ressemblait une "journée années 80" au Peet's du MOMA. Au bout de deux minutes, il me tire par le bras "I have to show you something". Il m'entraine hors de la boutique et m'emmène dans une galerie d'art, juste à côté, où a lieu le vernissage d'une exposition sur le thème des sans abris. Nous ne regardons pas les oeuvres ; nous discutons.

L'inconnu s'appelle "Lego" - c'est en tout cas comme ça qu'il se présente. Non pas qu'il crée des choses avec des Légos, mais il aime leur forme, ce qui s'y rapporte, et "les gens qui ressemblent à des légos". Je ne sais pas bien comment prendre cette remarque...

Lego me parle de vernissages et de fêtes à San Francisco, d'un "David Bowie bal" qui aura lieu demain soir, me propose de m'y emmener. Je lui parle des Etats Unis qui sont trop grands pour moi, de la France et je lui donne l'adresse du site web de Thibault.

Je dois absolument partir. Rendez-vous est pris ce soir pour un autre vernissage, assez loin dans le Mission.

Je rejoins Laurice devant le Castro, un magnifique cinéma rouge et or d'apparence baroque. Elle m'emmène dans Carlion Street, une ruelle où les murs sont recouverts de graffitis magnifiques et gigantesques. Des groupes de Mexicains font du skate-board au milieu du passage. L'ambiance est étrange. Il y a comme un léger parfum de danger entre ces hauts murs un peu glauques mais j'ai l'impression que nos deux mondes sont tellement étrangers qu'ils ne se rencontreront pas, quoi qu'il arrive. Comme si nous nous regardions tous, chacun abrités derrière une vitrine.








Laurice ne se sent plus très en sécurité à San Francisco, depuis qu'elle a été suivie en sortant d'un bus, une nuit. Elle ne prend plus jamais les transports passée une certaine heure. Lorsque je lui dis que je ne me sens pas plus en danger ici qu'à Paris - voire moins - elle me répond : "Ici, les armes sont autorisées. Ce qui rend tout de suite les choses beaucoup plus dangereuses." Je n'y avais pas pensé. A partir de cet instant, mes traversées du Mission seront beaucoup moins sereines.

Nous échouons dans une taqueira mexicaine tout aussi "authentique" que Yamo, quelques jours plus tôt. Nos quesadillas sont préparées devant nous, sur un comptoir graisseux, par des cuisiniers mexicains pur sang dont il est très difficile de comprendre l'accent. Je ne crois pas avoir mangé dans de pareils endroits à Paris. C'est là que je prends conscience de la différence d'importance que nous accordons au rituel du "manger". Même dans nos traiteurs chinois les plus minables, il y a comme une "ambiance" qui se prête au repas, ne serait-ce que par (l'apparente) propreté du lieu. Ici, on vient au restaurant pour ingurgiter de la nourriture, un point c'est tout. Ce sont des lieux purement usuels, non des plaisirs. Et tant pis si on assiste au spectacle d'un gros Mexicain plongeant ses mains douteuses dans le bac à champignons ou si les murs sont délabrés. Les repas sont beaucoup moins ritualisés ; il est même rare de rester plus de vingt minutes dans un restaurant. Du fait de la rapidité du service, d'une part, mais aussi parce qu'il n'y a pas d'intérêt à s'attarder. Je suis toujours un peu perturbée par la vitesse à laquelle nous vidons les lieux à chaque fois.

Après ce repas express, nous marchons longtemps dans le Mission pour atteindre la galerie où nous devons retrouver Lego, le Queen's Nail. L'endroit est minuscle et très peu d'oeuvres sont présentées. Rien de bien intéressant, d'ailleurs. A part une femme soulevant des haltères humains et le résumé de la performance d'une artiste qui est allée devant le tribunal pour un changement de nom... sauf qu'elle a demandé exactement le même, en signe de renaissance, de nouvelle vie. L'idée me plait - vraiment. Et le résumé de l'audience est très drôle.


* Les haltères humains *

Je parle longtemps avec Laurice... comme une renaissance elle aussi de nos années d'enfance. Sauf que les sujets ne sont plus les mêmes. Les discussions sur les lettres à écrire à nos amoureux ont été remplacées par des débats sur la question de l'intérêt pictural - est-il uniquement esthétique? Et la photo dans tout ça?

Nous avons - décidément - bien grandi.

mardi 1 septembre 2009

Mercredi 12 août 2009 : Somewhere over the rainbow

Aujourd’hui, il faut que je prenne l’air. Direction Ocean Beach pour voir la côte.

Je marche sur un sentier bordé de pins géants. L’odeur m’apaise. Au détour d’un virage, je tombe sur une vue incroyable. Le Golden Gate Bridge est face à moi mais le brouillard de San Francisco a été comme posé dessus. Seules les extrémités des longs poteaux s’en échappent. Je suis soufflée.



Je suis face à la baie de San Francisco, qui détient un record de plus de trois cent naufrages à cause des courants forts et du brouillard. Les sirènes des bateaux qui rentrent dans le port résonnent sans cesse – le seul moyen pour eux d’être repérés par les autres navires. J’ai l’impression de regarder un tableau : je suis en plein soleil mais une énorme nappe de fumée me cache l’horizon.



J’engage la conversation avec un couple de Belges, Cédric et Dorothée, tout aussi éblouis que moi par ce panorama incroyable. Ils ne sont là que pour deux jours ; ils repartent déjà demain pour l’Oregon. Cédric, ingénieur en électronique, est venu aux Etats Unis pour un colloque. Ils en profitent pour visiter la Californie en suivant la ligne de chemin de fer. Ici, ils sont hébergés pas un de leurs amis dans les locaux de la NASA. Ambiance glauque et haute sécurité assurée.

Nous continuons la petite randonnée ensemble et terminons dans un quartier où les maisons rivalisent de grandeur et d’élégance. Sous le soleil californien, la balade dans cette atmosphère très « Desperate Housewives » a quelque chose de typique.



Cédric et Dorothée continuent leur route vers le Golden Gate Park. Moi, je décide d’aller voir Baker Beach, ne sachant pas trop ce que je vais y trouver.

Ce que j’y trouve ?

Une plage magnifique au pied du Golden Gate Bridge et de superbes massifs montagneux couleur carmin. L’océan est d’un bleu profond et forme des vagues gigantesques qui interdisent la baignade. Je me laisse littéralement tomber dans le sable tant cet endroit est majestueux.



Je resterai là tout le reste de la journée, allant patauger dans l’eau – pas beaucoup plus froide que la Manche – bullant au soleil, écrivant, discutant avec les pêcheurs, m’émerveillant devant les énormes américains – american size – et les phoques dont la tête sort parfois de l’eau.

En fin d’après-midi, je reçois des nouvelles de Paris. Je réalise que je n’ai pas eu un seul TOC de la journée. Alors je m’allonge dans le sable et je souris. Je m’allonge dans le sable et je souris.

lundi 31 août 2009

Mardi 11 août 2009 : Living the american way of life

Ce matin, le brouillard est déjà là. Ca n’augure rien de bon pour le reste de la journée. Pourtant, aujourd’hui est un grand jour : je vais assister ce soir à mon premier match de baseball, les Giants de San Francisco contre les Dodgers de Los Angeles.

En attendant, je me mets en route pour Downtown, le centre d’affaire - et le centre commercial - de la ville. Sur le chemin, je m’arrête au restaurant de mon oncle. Je tombe sur Vanick qui était venu me chercher à la maison mais ne m’y avait pas trouvée. Ca tombe bien. Je repense en souriant à la magie.

* The Mission*


Vanick veut s’acheter une maison à San Francisco. Ici, il n’y a pas d’immeubles; que des maisons qu’on se partage entre colocataires. Du coup, les pavillons sont gigantesques. Ils peuvent parfois héberger plusieurs familles. Vanick me propose un tour en voiture pour en voir quelques unes. L’occasion de discuter avec lui sur les montagnes russes des rues de San Francisco que je n’aurais jamais pu faire à pied. Je suis parfois au bord du vertige, quand la voiture est presque perpendiculaire à la rue.

Nous nous éloignons un peu du centre. Les quartiers que nous visitons sont très calmes. Nous nous arrêtons sur une colline pour observer la ville qui s’étend à 360° autour de nous. Le ciel est gris, il fait un peu froid. Un véritable été san franciscain parait-il.





Entre deux stops devant des maisons aux façades toujours colorées, nous comparons nos modes de vie de part et d’autre de l’Atlantique. Vanick me fait penser à mon grand frère, parfois, dans sa manière de philosopher sur la vie avec son français devenu un peu hésitant. Il pense que les gens sont plus heureux ici. Je ne suis pas loin de partager son point de vue, mais l’avis d’une touriste fraichement arrivée est rarement objectif. Cela dit, au bout de quelques jours passés ici, je peux déjà sentir à quel point l’atmosphère est moins étouffante ici qu’à Paris. A quel point les gens ont l’air plus détendu. Plus cool.

Pourtant, à cet instant, je ne me vois pas vivre ici. C’est la première fois que je ressens cela lors d’un voyage : je ne me sens pas américaine pour deux sous. Il n’y a pas ici cette authenticité un peu bourrue que j’aime en France. Difficile de préciser plus ce sentiment pour l’instant.

Au cours de notre petite balade, une chose me frappe. Chaque fois que Vanick s’adresse à des gens – qu’il ne connait pas – pour demander des renseignements sur le quartier, il commence invariablement par dire : « Hi, how are you doing ? ». Ca peut paraitre anecdotique… mais à la réflexion, je réalise qu’il ne me viendrait jamais à l’idée de dire cette phrase, pourtant très bateau, à de parfaits inconnus. Il me semble que nous avons plutôt l’habitude d’utiliser ce petit tic de langage uniquement avec des personnes avec qui nous avons une petite connexion, même quelconque. Je comprends évidemment que c’est un automatisme, un truc que tout le monde fait ici sans se soucier de la réponse. Comme en France. Je réalise aussi que des commerçants m’ont accueillie de cette façon ici, et que j’avais été perturbée par cette entrée en matière.

Et soudain, tout s’éclaire ! Et notamment la raison pour laquelle le mec de l’aéroport qui vérifiait mon passeport et prenait mes empreintes digitales m’a regardée de travers lorsque je lui ai raconté tout mon vol après qu’il m’ait demandé « How are you doing ? ». Je le trouvais sympa ; j’étais excitée comme une puce. J’ai vraiment cru que ça l’intéressait, de savoir comme je « doingais ». Je suis presque déçue. Triste désillusion…

Le midi, Vanick m’emmène manger chez Yamo, un minuscule restaurant chinois où la cuisine se fait sous nos yeux, au comptoir où nous sommes installés pour manger. On dirait une petite cantine, d’aspect un peu glauque mais très… familial. Les plats sont délicieux. Je n’oublierai jamais, je crois, la noix de coco fraiche ouverte devant nous à coups de machette. La meilleure de ma vie. La chair est si tendre qu’on la mange à la cuillère. Je suis – littéralement – au bord de l’extase.






Vanick me redépose au restaurant et je reprends ma route vers Downtown. Je grimpe de véritables montagnes citadines à côté des « cable cars » pour atteindre des cimes qui ne ressemblent en rien à ce que j’ai vu de San Francisco jusque là. Downtown est comme un gros champignon posé au milieu d’un champ de maison. La sensation de se retrouver soudain dans une autre ville est plutôt déroutante. Plus je grimpe, plus les bâtiments sont hauts. J’ai quitté des rues aérées pleines de maisons de toutes les couleurs pour me retrouver coincée entre des gratte-ciels gigantesques et des magasins de luxe. Il y a beaucoup trop d’agitation, trop de fourmillement, de touristes, de bus, de buildings – trop de trop. Vertigineux. Je rencontrerai plus tard une touriste française qui a passé deux jours à San Francisco et n’y a vu que ce quartier. Elle repartira avec l’impression que la ville ressemble beaucoup à New York… alors que ça n’a clairement rien à voir. Downtown est une excroissance qui semble s’être construite toute seule. Une sorte de ville autonome, indépendante du « vrai » San Francisco.







* Love in Union Square *



Tout cela est – disons – sociologiquement intéressant mais j’étouffe. Après quelques essais shopping totalement infructueux, je reprends mon bus pour les Pacific Heights. C’est l’heure du baseball.






Le match me réserve bien des surprises. J’arrive avec mon attirail de supportrice, pourvue d’une main en mousse fraichement acquise (merci tonton !) et gonflée à bloc pour soutenir mon équipe. Finalement, je serai sans doute la personne la plus à fond dans le stade. Ici, le match de baseball, c’est un peu la sortie familiale du dimanche – du mardi soir en l’occurrence, mais c’est pareil. On pique nique dans les gradins sans vraiment faire attention à ce qui se passe sur le terrain. Je n’ai même pas remarqué quand le match a commencé, pensant que les joueurs étaient en train de s’échauffer tant le public leur témoignait peu d’intérêt. Il y a bien sûr quelques slogans, du bruit, mais aucune tension, aucun challenge. Les « supporters » ont plutôt tendance à s’entasser dans les boutiques, les attractions, et les stands de nourriture plutôt que de suivre fiévreusement le score.



Même les joueurs ne semblent pas au comble de leur dynamisme. Le baseball est globalement un sport mou. Je verrai même deux joueurs qui ne font rien depuis un moment finir par se lancer la balle entre eux, pour s’occuper.

En tant qu’habituée aux ambiances de stade un peu plus survoltées, je hurle, j’insulte, je secoue ma main en mousse et crie au scandale en voyant tous ces mollusques collés à leur banc. Une personne derrière moi me demande même de m’asseoir alors que je traite un joueur de l’équipe adverse de transsexuel. Mes cousins – eux – se marrent et reprennent du vin.

La fin du match approche et les Giants se font laminer. Et là, le comble : le stade se vide, les « supporters » s’en vont puisque nous avons, de toute façon, perdu. Je parviens à faire rester Vanick et Laurice jusqu’à l’avant dernière manche, pas plus. Levon et Herena, eux, sont partis depuis longtemps. C’est un déchirement d’abandonner mon équipe dans une telle mauvaise passe. Je suis sonnée.

Finalement, tout ça résume bien ce que je ressens depuis mon arrivée ici et que je ne parvenais pas à expliquer : beaucoup de spectacle, très peu d’authenticité. Le règne de « show off ».

dimanche 30 août 2009

Lundi 10 août 2009 : Happiness is only real when shared.

8h du matin. Je cours dans l’Alta Plaza Park sur les hauteurs de Pacific Heights avec Kanye West comme coah. Impossible de dormir plus longtemps, le décalage horaire me rend matinale. J’ai l’occasion d’avoir un panorama superbe sur (presque) toute la ville et son brouillard.

Le midi, nous retournons au Golden Gate Park avec Laurice, direction le Japanese Tea Garden. Impression de familiarité. Le jardin est tout petit mais incroyablement zen. Harmonie maximale parmi les bonzaïs, les cascades, et les ruisseaux à traverser en sautant de pierre en pierre ; régal des échanges de fi-filles autour du thé vert et des « fortune cookies ». La journée est douce, calme. Je commence à m’habituer doucement à la vitesse de croisière.






Laurice doit partir travailler. Je reste un moment dans le jardin botanique à errer à l’instinct, passant d’une région du monde à une autre et expérimentant différentes piqûres de moustique, peut-être différents eux aussi selon les parcelles…. Je m’arrête longtemps dans les « rain forests » luxuriantes. J’ai l’impression d’y être cachée, camouflée dans une petite niche fraiche. La nostalgie est à deux doigts de repointer son nez.





Savoir être seul, c’est bien, sans doute très bien même. Mais la conclusion du film Into the wild me hante depuis un moment. Encore plus en remontant la longue route qui doit m’emmener à l’observatoire du parc: «Happiness is only real when shared». Encore absorbée par cette réflexion, je tombe sur un groupe de musiciens installés sur des marches à l’entrée d’un tunnel. Groupe pour le moins hétérogène : il y a quelques vieux hippies barbus qui jouent des percussions, un saxophoniste en smoking et une fille en sandale qui ne maitrise apparemment pas bien ses maracas à côté d’un jeune popeux à slim et cheveux longs. Je les regarde un moment puis les rejoins. Ils me prêtent un ukulélé, un xylophone et leur pipe à haschich. Des gens s’arrêtent, nous regardent, applaudissent. Une femme déguisée en grenouille danse pour nous. Je ne sais jouer aucun des deux instruments. Pas grave, je crois que tout le monde s’en fiche. Je joue au feeling. C’est probablement inaudible, mais c’est incroyablement libérateur.

* Groupe d'un jour *


* La femme grenouille *

Une heure et demie plus tard, le concert s’achève. Je fais un bout de chemin avec Steven, le jeune popeux, qui m’explique qu’aucune – ou presque- des personnes présentes ne se connaissaient. Il savait que des gens venaient souvent ici pour jouer ; il est venu avec sa guitare. C’est tout. Je me demande si une chose pareille pourrait arriver ailleurs qu’ici. Est-ce parce que je suis une touriste que je tombe sur ce genre d’évènements ? Parce que je suis en vacances ? Ou parce que je suis à San Francisco ? C’était – en tout cas – un moment magique ; un partage gratuit entre des personnes qui se sont à peine adressées un mot. Qui sont simplement arrivées là, pour jouer, et sont reparties en ce remerciant mutuellement pour ce « great gig ». Je suis heureuse d’avoir fait partie d’un truc comme ça.

* Steven *

Je poursuis ma route avec Steven. Il travaillait jusque récemment dans une ferme bio. Mais son truc à lui, c’est la musique. Il enregistre seul dans son studio maison des airs planants et un peu mélancoliques (http://www.myspace.com/weplanonsleeping). Il a aussi créé un film de trois minutes en « still pictures » ; ça lui a pris trois mois. Je regarde le film, le soir. Je le trouve très beau.

Nous marchons longtemps. Après nous être perdus plusieurs fois et avoir débattu sur la question du talent artistique – un don ou un travail ?- nous nous séparons devant un stand de churros.

Deux minutes plus tard, je lui cours après dans la rue pour récupérer son adresse mail. Une impulsion. L’envie de ne pas regretter plus que de le revoir. Parce que la solitude, c’est bien, mais malgré tout : « Happines is only real when shared ».

samedi 29 août 2009

Dimanche 9 août 2009 : The Boulevard of broken dreams

Drame matinal : à cause de la différence de voltage, ici, mon épilateur électrique marche difficilement. Il émet un râlement d’épilateur à l’agonie. Ca me fend le cœur, et c’est la panique. Comment vais-je tenir vingt jours? J’ai l’impression de devoir passer une épreuve de survie en territoire hostile. C’est normal que les Françaises aient la réputation de ne pas s’épiler ici si on ne nous en donne pas les moyens, aussi.

Après m’être remise de cet évènement fort contraignant, je démarre ma première journée en solitaire. Aujourd’hui, Vanick et Laurice travaillent tout les deux. Et il me semble confusément qu’il faut que je réapprenne à être seule après ces derniers mois un peu fous- physiquement seule en tout cas pour l’être moins quand je suis censée être entourée. Ce voyage aux Etats Unis est plus important pour moi qu’il n’en a l’air. Comme un déracinement volontaire le plus loin possible pour prendre un peu de recul et arrêter cette course en continu un peu ridicule. J’ai une étape à franchir.








Fillmore Street et ses cafés très bobos ; le Japan Center et son festival qui sent le graillon, ses danses hawaïennes, et ses concerts de J-rock ; la cathédrale Ste Mary of the Assumption et sa forme de machine à laver. Je débarque au milieu de la messe dans ce gigantesque monument blanc dont l’architecture très peu conventionnelle a été beaucoup critiquée. Je ne suis pas allée à l’église depuis plus de dix ans, sauf pour des mariages, des enterrements ou des baptêmes. Il m’est arrivé ces dernières années d’avoir très envie d’y retourner ; j’ai même voulu me confesser au Vatican mais mes copines m’en ont empêché. A la place, je suis allée voir un psy.

Assise sur un banc en attendant que la cérémonie finisse, je me sens très petite, un peu intruse, et je ne trouve absolument pas le calme, la sérénité, la paix intérieure que tout ça est censé m’inspirer. Mais je perçois la nécessité de réussir à me ménager, pour moi, des temps suspendus. Je ne sais plus exactement quand ces moments-là sont devenus insupportables.




Je ressors de la cathédrale des bonnes résolutions plein la tête, sur l’aménagement de mon emploi du temps et la manière de me traiter. Et comme à chaque fois que je prends ce genre de décision, j’ai passablement envie de vomir et de faire tout l’inverse, encore plus de bêtises. Bon. Le pèlerinage vient de commencer mais il va être long…


Lower Haight, le prolongement du fameux quartier hippie de Haight Ashbury, qui n’a pas encore été contaminé par l’attraction touristique. Cette partie-là est finalement beaucoup plus saine, plus « authentique ». Il n’y a pas de vieux junkies à tout les coins de rue, pas d’exploitation ultra mercantile d’un passé qui rêvait du contraire. Tout est beaucoup plus calme, ici. Quelques tours dans les fripes du coin, et déjeuner au Café International. Les fallafels sont bons et le café glacé réserve une surprise…





Stern Grove, et son festival de world music dans les hauts pins, avec une chanteuse colombienne qui doit être proche des soixante-dix ans, mais pleine d’un dynamisme et d’une chaleur magnifiques. Des gens s’entassent par centaine sur les collines très pentues du parc, qui forment une espèce d’amphithéâtre naturel. Je danse les yeux fermés dans la foule compacte pour ne pas me sentir mal. Je ressens les couleurs ; c’est une sensation étrange, mais là, entre trois pas de salsa, je sens vraiment du rouge et du jaune traverser mes paupières.

Ma solitude commence à me peser. Ca ne fait pourtant que quelques heures. En sortant du parc, un jeune homme me propose de me ramener dans le centre ville en voiture. Je décline l’invitation et passerai le reste de la journée à m’en vouloir. Je reviens sur mes pas dix minutes plus tard pour voir s’il est encore là. Si j’avais dit oui, tout serait peut-être différent. Et si c’était ça le bouleversement que j’attendais? Le petit « truc » qui allait inverser la vapeur?

Je grimpe la côte jusqu’au tram et j’ai envie de pleurer, de hurler, et je sens bien que cette réaction n’est absolument pas normale. Que c’est exactement de ça dont il faut que je me débarrasse. Déposer les armes et avancer sereinement au lieu de vivre les choses comme un combat perpétuel. A nouveau, je me demande comment on fait, comment ça marche, comment on est censé faire.

J’écoute Melpo Mene dans le bus qui me ramène à Pacific Heights ; je me souviens de ce jeune homme seul en scène. La crise est passée, ça va mieux. Maintenant, ça va aller mieux. Maintenant, ça va aller.

Décidément, c’est une journée à thème.

vendredi 28 août 2009

Samedi 8 août 2009 : Chillin'

Laurice pensait que je me réveillerai très tôt à cause du décalage horaire. C’est finalement elle qui me tire d’un rêve étrange à base de strip teaseuses et de grenouilles rouges au goût de poulet acide lorsqu’elle se lève comme une boule de flipper pleine d’énergie à neuf heures du matin.



Une heure plus tard, nous sommes dans les rues de San Francisco, un grand café au lait de soja de chez Peet’s à la main. Peet’s, c’est exactement comme Starbucks, mais en meilleur. Et comme des Starbucks, il y en a à tous les coins de rue. Lorsqu’elle est revenue à San Francisco, Laurice ne supportait pas de voir les gens « biberonner » dans la rue. C’est aujourd’hui devenu une habitude. Tout le monde « biberonne » ici. S’installer pour boire son café - mais aussi, tout simplement, pour manger - n’est pas du tout une coutume américaine. On ne s’arrête pas ; on ne se pose pas. On continue.



Il fait un temps magnifique ; fait parait-il exceptionnel pour un été à San Francisco. Pas de brouillard mais un grand soleil qui tape sur la cafetière. Aujourd’hui, Vanick ne travaille pas - chose rare. Nous décidons donc de passer la journée avec lui. Un pique-nique est improvisé au Golden Gate Park, le parc le plus grand de la ville. Il est départagé en plusieurs parties différentes, telles que le Japanese Tea Garden, le Botanical Garden, le Dutch Mill, le Shakespeare Garden, … Nous nous retrouvons sur une grande pelouse entre les deux musées du parc, le Muséum d’Histoire Naturelle, et le De Young Museum. Des amis de Vanick nous rejoignent petit à petit. Au menu sous le soleil : fruits, fromage, vin rouge, bière et football américain. Sans le changement de langue, je pourrais presque me croire encore en France. Mais je me sens bien ; je ne ressens pas encore l’urgence de tout voir, tout découvrir immédiatement, qui me ronge d’habitude dès que je suis à l’étranger. J’ai vingt jours devant moi. J’ai le temps. De profiter de ces nouvelles rencontres, de mon cousin, de ma cousine et des coups de soleil.



Des jets d’eau automatique se mettent en marche à quelques mètres de nous, inondant un groupe de Japonais. Une des amies de Vanick émet l’idée que nous allions les aider. Nous trouvons ça beaucoup plus amusant de les regarder en rigolant sauver leurs sandwichs et leurs appareils photos. Dix minutes plus tard, un des arrosages se met en marche juste à côté de nous. Cette fois, ce sont les Japonais qui se marrent.



Cette inondation surprise sonne le départ pour les derniers résistants. L’après-midi touche déjà à sa fin. Je rentre avec Laurice chez Levon. Nous sommes épuisées, trempées et rouges de coups de soleil. Je me sens presque fiévreuse. Le vin doit y être pour beaucoup.

A peine rentrées, Levon ouvre une autre bouteille pour l’apéritif. Mon oncle est un très grand amateur de vin et sa cave renferme des grands crus qu’il fait allègrement partager. Chaque soir, lorsqu’il rentre, c’est une coutume pour lui de déguster une de ces bouteilles avec sa nouvelle amie, Herena, une adorable Coréenne qu’il a rencontrée dans son cabinet de kiné, et ses enfants lorsqu’ils sont là. J’aime ces rassemblements qui annoncent la fin de la journée. On s’assoit autour de la table avec un vin chaque fois plus délicieux, Brenda, le chat, miaule et on se raconte la journée, la future soirée… et toutes les conversations finissent toujours par la gestion du restaurant que tient mon oncle depuis trente ans, La Méditerranée.



Ce soir, dîner de famille. Levon a cuisiné des plats succulents dans des quantités astronomiques. Ca sent bon les retrouvailles. Raconter ce que je deviens, ce que deviennent mes parents, mes frères. La vie en France, les souvenirs qu’il me restait d’ici. Et redécouvrir surtout des membres de la famille trop éloignée.

Impossible de ressortir après ça - toute cette nourriture, tout ce vin, toutes ces brûlures. Nous nous écroulons comme des souches.